Face aux mutations de l’organisation et de la mobilisation du travail, les Coopératives d’Activités et d’Emploi (CAE) inventent des formes de mutualisation et de coopération entre des entrepreneuses-salariées-associées, en vue d’améliorer les conditions de leur autonomie. Les CAE sont reconnues par la loi ESS 2014, mais la diminution des financements publics impacte leurs ressources limitées. Cette thèse éclaire la compréhension de ces systèmes socioproductifs expérimentaux au-delà des schémas opposants production marchande/non marchande, salariat/indépendance.
Dans une perspective institutionnaliste, cette thèse se focalise sur les configurations stratégiques et organisationnelles des CAE, qui combinent plusieurs dimensions socioproductives. La démarche de recherche-action participative intégrale s’enrichit de la logique d’enquête pragmatiste. Trois CAE (Oxalis, Coopaname et Artenréel) composent l’étude de cas monographique. Le dialogue entre l’architecture conceptuelle de la théorie de la régulation et l’empirisme de l’économie sociale permet de revisiter les modèles productifs. Les compromis de gouvernement coopératif des CAE se caractérisent par des dynamiques productives multifonctionnelles. L’analyse des logiques productives des trois CAE, entre 2013 et 2018, montre toutefois l’ambivalence et l’instabilité structurante de ces compromis.
Plusieurs facteurs d’unité et de diversité des modèles socioproductifs des CAE sont relevés. Ainsi, la pérennité de leurs dynamiques socioproductives (ex. correspondance entre la stratégie et les moyens de production) est garantie par leur Projet coopératif (marquée notamment par l’idée d’autonomie dans et par le travail). Cependant, les CAE disposent de ressources marchandes insuffisantes pour pérenniser leurs services mutualisés et assurer des revenus acceptables pour leurs membres. Paradoxalement, l’instabilité structurelle de leur compromis est un facteur clé de leur pérennité, mais aussi des dysfonctionnements organisationnels et des tensions relationnelles récurrentes. Les CAE se différencient par leurs stratégies, selon la priorité donnée au politique, au social ou à l’économique et leurs formes organisationnelles selon les moyens de mutualisation, de coopération ainsi que les modalités de gouvernance.
Parmi les apports de cette thèse, on retient l’approche pragmatiste d’une recherche-action participative engagée et la grille d’analyse des modèles socioproductifs. En outre, trois notions conceptuelles sont mises en exergue. Premièrement, l’approche du travail par l’activité éclaire les processus d’autonomisation et démocratisation à l’œuvre dans les CAE. Deuxièmement, le rapport coopératif d’activités rend compte des tensions inhérentes aux relations sociales de production. Enfin, la multifonctionnalité éclaire les temporalités et les finalités contradictoires des activités socioproductives. Cette thèse apporte autant des résultats scientifiques enrichissant la théorie de la régulation et l’économie sociale que des résultats opérationnels pour les CAE.
Mots clé : coopératives d’activités et d’emploi, zones grises du travail et de l’emploi, modèle productif, multifonctionnalité, relations salariales, entrepreneur-salarié-associé, travail autonome.